Quatre membres de la SBM (Béatrice Bellocq, Philippe Huot, Gaspard Tanguay-Labrosse et Caroline Tétrault) faisaient hier le Grand Défi de QuébecOiseaux. L’exercice, très stimulant, consistait à essayer de voir le maximum d’espèces en une seule journée sur un territoire donné. La SBM avait décidé de faire honneur aux sites qu’elle fréquente le plus sur l’île de Montréal, le territoire habituel du club se concentrant essentiellement au centre et à l’est de l’île. La journée s’articulait autour de quatre sites principaux, soit le Domaine St-Paul, le Jardin botanique de Montréal, le Cimetière du Mont-Royal et le Technoparc, auxquels nous avions adjoints quelques sites secondaires où il serait possible d’observer des spécialités locales.
Dans le secret le plus absolu, un chiffre hautement symbolique avait été avancé comme objectif, qui toutefois n’avait pas été publicisé, pour éviter que nos ornithologues ne craquent sous la pression: 100 espèces. En vérité, c’était déjà l’objectif de l’année dernière pour le 100e anniversaire qui avait été gâché par la pluie (82 espèces avaient été observées). Forcément, il fallait donc 101 espèces pour le 101e anniversaire.
La journée a été haute en émotions et en rebondissements. Dès 5h30, l’équipe était sur l’estacade du pont Champlain. Les conditions printanières promises n’étaient pas exactement au rendez-vous, avec un vent fort qui n’avait pourtant pas été commandé aux dieux de la météo. Ça n’a pas empêché les membres d’avoir certaines des observations les plus intéressantes de la journée (Bernaches cravants, Grive des bois, Faucon pélerin). L’île des Soeurs a rempli ses promesses, et une visite au Domaine St-Paul avait déjà propulsé l’équipe à 66 espèces vers la fin de l’avant-midi.
Soudainement, le soleil est sorti, et a déversé un flot de touristes sur le Jardin botanique. La réalité de l’ornithologue montréalais frappait de plein fouet: le petit nombre d’espaces verts les rend hautement désirables par un dimanche ensoleillé! Le stationnement principal était plein, et la pause dîner a été faite du côté du parc Maisonneuve, avant d’aller se mêler à la foule friande de fleurs. Le Jardin des premières nations résonnait au son des tambours japonais, curieuse musique de fond des parulines printanières. Avec le Jardin, la SBM a fait le plein de parulines, dont 20 espèces ont été observées hier. Un large détour jusqu’à la maison de l’arbre a permis d’ajouter le Roselin pourpré au total.
Le temps semblait vouloir manquer aux membres de la SBM, alors qu’ils sont arrivés au Cimetière vers 15h30. Le site est vaste, et en faire le tour pour en extraire tout le potentiel n’était pas envisageable. Une heure et demie de recherche bien ciblée nous a gratifié de 5 nouvelles espèces, pour 31 au total.
Malgré l’avancement de la journée, les Butors ont tout de même décidé d’ajouter une dernière tournée de sites à Verdun avant de partir pour la dernière destination au Technoparc. Grand bien leur fit, car de courtes visites aux parcs de l’honorable George O’Reilly et au parc des rapides permirent d’ajouter 8 nouvelles espèces associées à la présence de grands plans d’eau à leur total (Hirondelle à ailes hérissées, Bécasseau minuscule, Goéland marin…) Une tentative ratée de trouver un petit-duc autour d’un nid connu après 15 minutes de recherche a amené toutefois un constat impitoyable: le temps commençait à manquer, et les Butors n’étaient qu’à 92 espèces. Il faudrait en trouver près d’une dizaine sur le site le plus vaste de ceux visités jusqu’à présent.
Il était temps d’aller rapidement au Technoparc. Rien de plus facile, et le téléphone intelligent serait un allié précieux pour trouver le chemin le plus rapide. Toutefois, à 18h30, cet allié nous informait qu’un cinquième joueur maléfique venait de se joindre à la partie, un ennemi que les Montréalais connaissent trop bien, et qu’on croit pouvoir éviter par un dimanche soir paisible: le trafic. Des circonstances hors de notre contrôle séparèrent l’équipe, et les prédictions d’applications bien connues étaient sans appel: Arrivée à 19h25, une heure avant le coucher du soleil.
La longue remontée de l’autoroute 15 dans la circulation n’a pas trop émoussé la vigilance des ornithologues, dont les espoirs s’amenuisaient à chaque instant. C’est cette vigilance qui, à l’approche du Technoparc, sema le doute dans l’esprit d’un conducteur, immobilisant son véhicule à un endroit improbable après une vague impression de Bruant des prés sur un poteau en bord de rue. Les jumelles furent dégainées en deux temps trois mouvements, et vous ne croirez jamais ce qu’ils découvrirent (bien qu’à ce point, si vous lisez toujours, il est probable qu’il soit inutile de vous appâter ainsi)!
Au pied du poteau, se tenait un Moqueur polyglotte, une espèce que l’équipe ne cherchait pas particulièrement à ce site. De surcroît, c’étaient finalement DEUX bruants des prés qui se chamaillaient à cette heure tardive. La psychologie du joueur de Grand Défi est insondable: 8 espèces en une heure semblaient une montagne, mais 6 espèces, soudainement, semblaient un jeu d’enfant.
Aussitôt, le plan de match était mis en action, et la providence ornithologique se mettait de la partie. Gaspard et Philippe visitèrent le marais IPEX au pas de course, où les attendaient des Sarcelles d’hiver (95!) avec le chant de la Paruline masquée (96!). La poussée était irrésistible: nul besoin de sortir de la voiture quand une flaque en bord de chemin accueille les tribulations d’un Pluvier kildir (97!). Une Crécerelle d’Amérique chassait gentiment exactement où elle avait été vue deux jours plus tôt (98!) et un Grand Pic plus lointain vocalisait uniquement pour le bénéfice de l’équipe (99!!!)
Vers 19h40, l’équipe vengeait déjà l’échec de 2022 alors qu’une Gallinule d’Amérique relaxait aux abords de l’Étang aux hérons. Mais les ornithologues sont ingrats, et refusent de s’arrêter (et si notre lectorat abondant sur Facebook trouvait le chiffre de 100 trop rond et beau pour être vrai?) Un Bruant à couronne blanche (101!) en fit les frais, lorsqu’on vérifia s’il se trouvait toujours dans le même groupe de conifères que deux jours auparavant.
Aussi bien en profiter, et c’est une équipe très détendue qui se dirigea vers le marais des Sources avec en tête l’idée d’y écouter les Bruants des marais chanter. Ceux-ci (102!) y étaient bel et bien, mais c’est l’abondance et l’activité des Bécasses d’Amérique qui était la plus impressionnante (103!). La SBM a planifié régulièrement des sorties aux bécasses plus tôt dans l’année, et c’était un réel plaisir de voir ces oiseaux aussi actifs au crépuscule.
Fourbue après plus de 15 heures d’ornithologie et alors que la luminosité diminuait rapidement, l’équipe est retournée avec fierté vers les voitures. 103 espèces à Montréal en une journée? Voilà une expérience que les membres des Butors n’avaient pas vécue et qui les marquerait. Il était grand temps de finalement souper, de prendre une bière et de savourer une victoire inespérée après un début de journée frisquet.
Est-il possible pour un oiseau de connaître les humains? Il faut croire que certains en tout cas ont eu la chance de fréquenter l’œuvre de Yogi Berra et de nous la rappeler par leurs actions. Alors que les Butors revenaient sur la rue et s’extirpaient de la forêt secondaire des secteurs à l’ouest du Technoparc, une forme était visible, perchée sur une grosse branche au-dessus de la rue déserte dont les lampadaires tranchaient avec la pénombre ambiante. Avec ses deux aigrettes, le Grand-duc d’Amérique (104!) était difficile à confondre avec une autre espèce. Difficile de trouver meilleure espèce pour conclure la journée, alors qu’il était temps pour les ornithologues de se mettre au lit et pour lui de se mettre en chasse.
Si vous avez aimé ce compte-rendu, vous pouvez consulter la liste complète des sites visités et des espèces observées au https://ebird.org/tripreport/132594